Jan 3, 2006

Du rôle des liens sur internet : une écriture web qui reste à inventer ?

Discussion très intéressante sur le blog de Francis Pisani, Transnets. Il y cite une phrase extraite du livre de Fogel et Patino, Une presse sans Gutenberg :
53. L’information présente sur Internet est moins importante que les liens qui permettent de la trouver.

Je vous invite à lire les réactions à son post. Voici la mienne :

L'idée de l'hypertexte est partie d'un constat : notre cerveau fonctionne de façon verticale (nous sautons d'une idée à l'autre) et non horizontale ou linéaire. L'hypertexte vient, selon nous, apporter un début de solution à ce que nous appelons la "frustration linéaire" du consommateur des médias classiques (print, broadcast). Frustration que je résumérais par : "Si je n'aime pas, c'est trop long. Si j'aime, c'est trop court." Avec l'hypertexte, et une politique de liens bien maîtrisée (je suis d'accord qu'il y a un métier de "metteur en liens" à inventer sur le net, une sorte de nouveau secrétaire de rédaction), le lecteur non seulement choisit son parcours de lecture, mais également la quantité d'information qu'il souhaite absorber. Cet "avantage produit" est, selon nous, un des avantages clés du net en terme de consommation d'information.
Aussi, il nous semble que l'écriture net, la grammaire du net, reste à inventer. Une écriture basée sur la logique de lien et d'information contextuelle -- contexte tant désiré et réclamé par le lecteur. Contexte qui fait tant défaut à la presse écrite généraliste, même si elle est persuadée qu'elle fait du bon boulot. Une écriture net, comme nous avons une écriture mag, radio, télé… Je n'ai pas beaucoup vu de travaux concrets là-dessus (si vous avez des réfs, je suis preneur). Je me souviens cependant de l'excellent travail d'un professeur de la faculté de journalisme de Hambourg, en 1998 ou 1999. J'ai moi-même pas mal planché sur le sujet mais sans jamais rien publier d'officiel.
Cette façon de découvrir un article par liens entraîne, en autres, deux questions. Qui passe encore par la page d'accueil d'un site pour lire un article ? Quid de l'idendité des marques médias ?
Aussi, pour le journaliste visuel que je suis, se pose immédiatement une série de nouvelles questions : comment design-t-on, organise-t-on, la navigation d'une page sachant qu'elle est une porte ouverte sur un média ? Une fois le lecteur "chez nous" comment le garde-t-on ? Comment lui donne-t-on l'envie de rester ? Enfin, dans ce chaos de liens, comment arrive-t-on à sauvegarder l'image d'une marque ?


Qu'en dites-vous ?

6 comments:

  1. Anonymous5:20 PM

    bonjour Jeff,

    Il y a beaucoup d'éléments dans ton intéressant billet / commentaire, et c'est difficile d'articuler une réponse en particulier...

    Voici donc quelques réflexions inspirées des tiennes :

    - Je ne suis pas sur d'être tout à fait d'accord avec cette distinction vertical / horizontal. Pour moi, le principe de l'hypertexte n'est pas un fonctionnement dans une autre direction, mais bien une nouvelle dimension, qui crée plus de la "volumétrie" que de la verticalité.

    - je suis réservé sur cette notion de "metteur en lien". Le lien hypertexte fait à mon sens partie de l'écriture, et non du secrétariat de rédaction, métier auquel on aurait tendance à le rattacher de prime abord. Certes, une vision tierce peut effectivement "éclairer" un texte par des propositions d'approfondissement, de contextualisation ou de digression. Mais il ne fait pas pour autant priver le rédacteur web d'un outil essentiel de son écriture qui est la faculté de créer de la profondeur dans son texte (la partie "contexte" du lien peut être avantageusement renforcée par les attributs TITLE des balises A HREF)

    - pour ce qui est des travaux francophones, n'oublions pas le gros travail fait par Jean-Marc Hardy sur www.redaction.be qui a maintes fois abordé cette notion des spécificités de l'écriture web, et prodigué de nombreux conseils très concrets touchant notamment les liens. Ce site est encore inégalé à ce jour. Voir notamment la partie consacrée aux liens dans "44 conseils pour bien écrire sur le web" : http://www.redaction.be/exemples/44conseils_nov_04.htm

    - peux tu préciser ta question : "comment désigne t'on [anglicisme : tu veux dire "concevoir"?] organise t'on la navigation d'une page sachant qu'elle est une potre ouverte sur un média ?

    - "une fois le lecteur chez nous, comment le garde t'on?" -> cette question revient sempiternellement dans les stages d'écriture et de conception web que j'anime.
    Je n'ai qu'une réponse : "n'essayez pas de retenir le visiteur, au contraire, favorisez son départ : il reviendra plus motivé encore !". Il existe encore un reflexe de "rétention" du lecteur qui vit sur une idée fausse née de la course à l'audience de l'époque des portail. Cette notion d'audience a cours pour du broadcast, pas pour du web. la contenu n'est pas composé de mots, mais de pages web. La votre est un des morceaux d'une phrase commencée par quelqu'un, et finie par un autre...
    Je ne peux que citer (encore) David Sifry (Technorati CEO) : "web is not about pages, web is a conversation stream. And hyperlink it’s not a link between document, but a form of social gesture".

    - "dans ce chaos de liens, comment arrive t'on à sauvegarder l'image d'une marque?". Ma réponse : en participant soi-même au chaos.

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  2. Anonymous5:42 PM

    jeff,

    petite suggestion : installe "haloscan" sur ton blog pour la gestion des retroliens puisque blogger est curieuseusement une des rares plate-formes qui en soient dépourvues.

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  3. Anonymous5:48 PM

    bon j'ai rien dit, je vois un retrolien en dessous.... shame on me

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  4. Joel, quand je parle de verticalité, c'est par opposition à l'idée de linéarité. Mais, tu as sans doute raison, on doit pouvoir trouver un meilleur terme. Non-linéaire, tout simplement.

    Je suis aussi d'accord qu'il y a une deuxième notion importante dans l'idée de lien, celle de "volumétrie". Elle augmente d'ailleurs l'attitude non-linéaire du lecteur. Car, le choix augmente et donc avec, les raisons de dévier de la lecture d'origine. A-t-on étudié cette idée du volume (peut-être Jean-Marc Hardy) ? Quand le lien est-il une aide ou quand est-il un obstacle ?

    Pour ce qui est de la proposition de liens, le journaliste peut faire une première proposition, bien entendu. Mais, je crois qu'un œil extérieur améliorera la qualité des contextes donnés en lien. Par expérience, je trouve que les journalistes ne sont pas très bons -- ou pas entraînés ou les deux -- à créer du contexte. Dans l'écriture, ils ont une forte tendance à la linéarité. C'est souvent une galère de leur faire sortir un nouvel angle pour un encadré ou pour un sous papier.

    En ce qui concerne le design, puisque, en raison du système de liens, on ne rentre presque plus jamais par la page d'accueil, comment conçoit-on chaque page d'un site ? Chaque page étant, en fait, aussi une page d'accueil. C'est pour moi une question essentielle dans la création d'un site aujourd'hui, tant sur le plan du design, de la navigation et de l'architecture. Il n'y a plus de début, plus de fin.

    Je suis d'accord qu'il faut d'abord chercher les outils de conversation sur le web. La conversation créera l'audience.

    Merci pour le lien sur www.redaction.be

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  5. Bonjour Jeff,

    Sur la question des journalistes qui ne savent que peu ou pas mettre en contexte leur information, il me semble que ce soit seulement une question de culture d'entreprise. Dans ce sens, l'idée de metteur en lien me laisse un peu perplexe.

    En revanche, il m'apparaît assez clair qu'en n'affichant aucun lien pointant à l'extérieur de leur site, le raisonnement des responsables web semble être le suivant: "un lien vers l'extérieur donne du trafic à d'autres et les internautes ne reviendront plus chez nous".

    En feignant d'ignorer le reste du Web, les auteurs d'un site se méprennent sur ce qui fait aussi sa crédibilité: le contenu intéressant et mis à jour régulièrement certes, mais aussi des liens pertinents vers d'autres sites de qualité.

    Le site swissinfo.org est l'un des très rares sites d'information généraliste qui propose des liens vers d'autres pages que les siennes. Resterait à voir si les internautes disparaissent dans la nature après être passés chez eux.

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  6. Anonymous5:06 AM

    Jeff,

    Evoquer l'hypertexte web comme une nouvelle expérimentation au delà de l'écriture papier me paraît peut-être trop antagoniste.
    Je me distancerai quelques instants de monde des média.

    Au delà d'expérience d'écriture baudelairienne "moderne" du 19ème sicècle, Walter Benjamin, écrivain allemand du début du 20ème siècle, a relaté dans sa bible posthume, Passages, les besoins d'une écriture "connaissante" moderne faite d'interconnexions et de passages, créant du sens dans "le système cognitif mouvant".

    Loin d'une volonté de style, les propos de Benjamin s'inscrivent surtout dans la modernité de la société au travers de l'accélération et de l'accumulation du sens. Les médias, l'édition, l'urbanisme contemporain, l'apprentissage, toutes ces notions se réfèrent à un monde devenant trop rapide pour que nous puissions le comprendre avec nos outils cognitifs classiques dans le processus de regard, d'analyse et d'écriture de la société.

    En celà, Benjamin a préfiguré son époque, et nous aide à deviner ce qui advient aujourd'hui avec nos technologies de diffusion d'information.
    En fait, par les technologies, la relation que nous avons au temps est aujourd’hui si accélérée qu’il n’est plus humainement possible de gérer l’information qui en émane de façon linéaire et verticale, la prise, l’analyse, la gestion et la conservation de données émanant de plusieurs sources, se déployant dans plusieurs directions, se multipliant dans d’innombrables dimensions à la fois.

    Ce qui me paraît bipolaire, pour rejoindre partiellement votre discours, c'est en fait un principe de narration de l'écriture média qui ne s'articule plus du tout avec son support et son contexte de diffusion. Et les conséquences que j'évoque sont les mêmes que vous présentez.
    L'écriture média devrait se diriger, dans ce contexte actuel, vers une superficialisation (au sens propre: qui ne s'étend pas et qui en reste au fait), tout en évoquant d'autres dimensions productrices de sens. Il est étonnant de voir comment Benjamin préfigurait l'hypertexte en ajoutant en permanence des renvois de notes imbriqués les uns dans les autres.
    L'hypertexte du web est considéré comme une valeur ajoutée qui devrait de fait exister de fait dans bon nombre de systèmes d'écriture média aujourd'hui. Il fonctionne parce qu'il est lié intimmement au fonctionnement de la société actuelle. Et s'il est trop absent de l'écriture média aujourd'hui, c'est que cela relève en grande partie d'une résistance des producteurs à la disparition la notion "romantique" d'auteur.

    Et pour finir, s'il y a des problématiques du coté de l'écriture de ces flux d'information, il en existe aussi du coté de la lecture.

    A l'inverse de l'hypertexte, système producteur de sens expansif, les technologies internet utilisent aussi ces sytèmes d'informations multiples pour rationnaliser, arrêter, catégoriser, et donc définir le flux d'information. C'est ce que nous voyons aujourd'hui sous la forme d'aggrégateurs RSS, qui prolifèrent sur le réseau. Et cela les producteurs devraient en tenir compte aussi dans la diffusion de leur contenu.
    Et ce principe d'aggrégation du sens, Benjamin l'évoquait aussi...en 1932.

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