Apr 26, 2006

Pour Charon et Farkas, l'avenir du papier ne passe pas par le net

J'ai écouté, hier sur Radio France, la conversation sur la crise de la presse quotidienne en France. C'était dans l'émission "Les matins" de Nicolas Demorand. Les invités appelés à en discuter étaient Jean-Marie Charon, sociologue des médias au CNRS, et Jean-Pierre Farkas (courte bio ici), journaliste, ex de Combat, de Radio France, de l'ACP (Agence Centrale de Presse), RTL…

La conversation a durée plus d'une heure. Vous pouvez l'écouter ici. Le sujet de départ était France-Soir. Pour Farkas cela "fait longtemps que France-Soir est mort". J'avoue, malheureusement, être d'accord avec lui. Tout comme je rejoins les remarques de Frédéric Filloux, le patron du quotidien gratuit 20 minutes, sur son blog : "La mort maintenant quasi-certaine de France-Soir est la démonstration qu’un certain type de presse, faute de pouvoir se réformer, à vécu." Et d'ajouter : "La raison de cette décrépitude est à chercher dans un découplage croissant entre le contenu du journal et les attentes du public. La rédaction de France-Soir a imperturbablement continué à faire le journal qu’elle avait envie de faire – non sans talent d’ailleurs, avec une équipe de reporters solides sortant souvent de jolis coups – mais sans trop se soucier d’un lectorat qui changeait."

Un décalage lecteurs/rédaction que confirme Jean-Marie Charon. Il explique que c'est dès les années 70 que le France-Soir a raté le virage. À ce moment là, dit-il : "Le journal n'accompagne pas du tout la transformation des modes de vie des Français. […] Il va rester trop institutionnel, trop politique".

Un décalage qui touche l'ensemble de la presse écrite quotidienne généraliste, à de très rares exceptions, en France et à l'étranger. Y compris la presse quotidienne régionale qui ne va pas très bien non plus, contrairement à ce qu'a déclaré Farkas lors de cette émission. Jean-Marie Charon a fait remarquer que cette baisse d'audience touche également la télévision. D'après ces chiffres, elle serait tombée, en France, de 30 %. La radio n'irait pas mieux. L'une des raisons clés de cette baisse serait pour Charon : la segmentation. Sujet abordé à plusieurs reprises dans ce blog. Et, on ne peut que confirmer.

Charon pense que les médias sont dans une période d'incertitude forte. Étonnant, en revanche, de l'entendre expliquer que le quotidien papier est le support d'information avec le plus de nouvelles et le traitement le plus varié. Quid de l'internet ? Charon ne pense pas qu'il offre la même diversité. Pourtant il y a, à mon avis, bien longtemps qu'en terme de volume et de variété de traitement internet dépasse, et de loin, le journal papier. Sans parler de l'ensemble des fonctionnalités, comme les moteurs de recherche, qui rendent la consultation de l'infos bien plus simple en ligne.

Et du net, en fait, il en a été peu question dans cette émission. Nos deux invités n'ont d'ailleurs pas l'air de croire qu'il est une source de solutions pour la presse écrite. Charon insiste sur le fait que devrait naître une forme éditoriale spécifique sur le net. On le suit là-dessus. Et, il pense que les quotidiens ne sont pas les mieux placer pour créer cette forme spécifique. Pas facile à dire.

Comme Frakas, il ne croit pas au bi-média (que je n'aime pas ce mot). "Je résiste beaucoup à cette idée de bi-média", explique Charon. "Je crains que la formule du bi-média soit une formule hybride dans laquelle, finalement, on ne réussit ni l'un ni l'autre", ajoute-t-il.

Les faits montrent qu'il n'a pas complétement tord. Surtout en France où la presse quotidienne se montre très timide et maladroite sur le net, à de très rares exceptions. D'ici à dire que c'est sur le support papier qu'il faut se concentrer, il n'y a qu'un pas que semble franchir Charon. Et c'est là qu'on est en désaccord profond. Internet n'est pas comparable à la radio et à télévision. Il est l'outil incontournable pour la presse écrite. Ceux qui sauront en tirer avantages, seront les enteprises médias de demain. Les autres finiront sans doute là où France-Soir va finir très bientôt. Hélas ! Car ne pas rater le virage de ce siècle, c'est ne pas rater sa stratégie multisupport. Accompagner la transformation de la société française, c'est avoir une offre multimédia.

6 comments:

  1. Anonymous3:42 AM

    Une anecdote amusante: quand Rey a annoncé qu'il arreterait les pages politique (une bonne idée à mon avis meme si le personnage s'est largemetn déconsidéré) le ministre de la culture a menacé de supprimer les aides de l'Etat... C'est à ce genre de détail qu'on découvre la nature du fil à la patte qui tient la presse française ...

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  2. Oui, l'explosion des modèles ne déstabilise pas seulement les médias traditionnels. Elle destabilise aussi beaucoup les politiques...
    Pour revenir au post de Jeff, je note surtout que les deux interlocuteurs n'ont pas l'air très informés... et un peu en retard.

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  3. Anonymous11:33 AM

    Nous avons eu des réactions comparables ! Je vous laisse lire mon retour sur cette émission sur mon blog : http://danielleattias.typepad.com/medias/2006/04/france_soir_sur.html#comments

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  4. Anonymous1:48 PM

    Le meilleur c'est qu'ils disent que les gratuits ne sont pas adaptés au débat d'idées. Ils n'ont visiblement pas vu les blogs de 20 minutes, assez percutants. C'est justement là que le web est complémentaire.
    En fait ce que l'on comprend c'est que pour eux que "débat d'idées" = tribune d'une page pour universitaire.
    Ceci dit, ca me gêne un peu de ricaner car Charon s'est montré plutôt fin dans l'analyse. Le problème me paraît surtout générationnel, il leur manque de nouveaux référants...

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  5. Charon a cerné le principal pour expliquer la perte d'audience des medias généralistes. Parmi les raisons importantes : la segmentation de l'audience. Il a eu raison d'insister sur le fait que cette segmentation ne date pas d'aujourd'hui et qu'elle est la base de l'économie de la presse magazine. Maintenant, il manque, selon moi, la suite. Internet. L'offre web c'est l'explosion de la segmentation. Aussi, et c'est là où je m'étonne de son point de vue, comment croire qu'un quotidien pourra, dans ce contexte, retrouver des avantages produits suffisants avec sa seule version papier. On est dans l'illusion totale à mon sens. D'ailleurs Charon, pas plus que Farkas, ne nous expliquent quels sont ces nouveaux avantages. Que fait-on selon eux ? Et à la question "pourquoi faut-il lire un quotidien", ils n'ont pas plus de réponse. Et pour cause. Il n'y en a pas. Personne n'a besoin, au fond, de lire un quotidien. Ce dont ont besoin les gens c'est d'une information régulière, sans doute au quotidien pour la majorité. Pas d'un quotidien. Et encore moins d'un quotidien papier, payant, qui ne dit, bien souvent, rien de plus et, en retard, que ce que l'on trouve gratuitement ailleurs.

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  6. Anonymous11:04 AM

    N'enterrez pas trop vite les quotidiens papiers. Ils disposent de cet avantage considérable et somme toute banal qui est... la portabilité. (bus, métro, café, plage, etc).
    Et pour l'instant, le papier électronique n'en est qu'au stade de l'expérimentation.
    En revanche, le media-mix papier-internet me paraît incontournable, mais pas seulement :
    Pour réconcilier les lecteurs avec leur presse traditionnelle (c'est à dire les inciter à l'acte d'achat), il faudra créer de l'interactivité (dialogue permanent sur le Net) et du multimedia à partir du papier.
    Sur le 2e point, voir la technologie "Mobile tag" qui me semble très prometteuse.
    J'en parle sur mon blog.

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