Oct 3, 2006

Faut-il réunir les rédactions du print et du net ?

La question de la fusion des rédactions presse écrite (ou télé ou radio) et internet se pose de plus en plus souvent. Deux écoles s'opposent. L'une préfère la séparation des tâches. L'autre propose une intégration immédiate. Retour sur les arguments des uns et des autres. Et propositions pour avancer.

1- Des unités business séparées
La première "école" considère que la majorité des équipes des entreprises médias, dites traditionnelles, ne sont pas encore prêtes pour le net. Elle pense que les résistances sont trop fortes. Que les journalistes écrits ne sont pas encore capables de produire un podcast, une vidéo ou une animation Flash. Et, que ces résistances empêcheraient le bon développement des activités internets, nuiraient aux besoins d'imagination et de créativité nécessaire sur le web. C'est le cas, par exemple, du Washington Post.

La solution est alors de séparer le net du print et d'en faire deux unités business, avec deux rédactions différentes et des équipes marketing et pub autonomes ou semi-autonomes… même si des ponts existent entre le print et le web.

2- La fusion des rédactions
La deuxième école considère que la séparation n'a pas de sens. Qu'il faut en finir avec l'idée d'une rédaction lier à un "véhicule" (le papier ou le net). Qu'il est ridicule de multiplier les forces par deux (par exemple, un journaliste qui couvre les faits divers pour le papier, un autre qui les couvre pour le net). Que le seul moyen de stopper la culture mono-média et de faire rentrer la rédaction dans celle du multimédia, c'est de n'avoir qu'une seule équipe qui produit pour les deux.

C'est le choix qu'à fait, par exemple, la World Co au Kansas. Elle produit un quotidien papier, une quinzaine de sites web et une chaîne de télévision. Les journalistes ne sont pas attachés à un véhicule. Il travaille pour les trois. Le résultat est impressionnant. C'est aussi le choix que vient de faire le New York Times, le Daily Telegraph… et bien d'autres avec eux.

3- Qui a raison ?
J'ai envie de dire : les deux mon colonel ! La fusion des rédactions en une seule unité est inévitable. Les équipes des entreprises média, pas seulement les rédactions, je parle aussi du marketing et de la pub, doivent se préparer à travailler sur des supports multiples. L'attachement à un "véhicule" n'a plus de sens. Les enteprises ne survivront qu'à la condition d'avoir une offre produits et services variée, satisfaisant les besoins de plus en plus fragmentés de leurs communautés, de leurs audiences.

Ces entreprises devront se composer de journalistes maîtrisant toutes les formes de restitution de l'information, pour toutes les plateformes. Idem, pour les équipes pub et marketing. Dans cette perspective d'organisation, les accords sur les droits d'auteurs -- basés sur la notion de production pour un "véhicule" -- n'ont plus aucun sens et sont donc à revoir.

Ceci dit, aujourd'hui les équipes ne sont, dans la très grande majorité des cas, pas prêtes à plonger dans l'univers du multimédia. Pas facile de changer des années et des années d'habitudes de travail… qui jusque là permettaient de réaliser le "miracle du quotidien papier". Pas facile de rentrer dans un univers inconnu où l'on passe de l'état de compétent à celui d'incompétent. La nouveauté, c'est aussi faire face à quelque chose qu'on ne connaît pas. C'est une inquiétude à ne pas sous-estimer.

Il paraît donc judicieux, dans une première étape, de séparer les équipes. Séparer les équipes ne veut pas dire les séparer physiquement. Elles peuvent être sur un même plateau. C'est ce que nous recommandons, histoire que la "contamination du web" se fasse en douceur. Séparer les équipes veut dire : créer des unités business différentes. Et mettre à la tête des équipes du web, des gens du web, des personnes qui comprennent internet, qui pensent internet. Des personnes qui sont capables d'imaginer l'info en plusieurs dimensions : texte, image, son, vidéo, animation. La culture papier ne suffit pas pour réaliser un bon site web.

Quand on regarde les résultats sur le net des entreprises de presse, on constate que le net c'est beaucoup mieux développer là où les équipes étaient des entités séparées et là, où elles avaient été confiées à des pionners du web. Quand les équipes du net sont restées sous le contrôle de la rédaction papier, les résultats ont été, en général (il y a des exceptions) entre faibles et inexistants. Quoi de plus normal d'ailleurs. Difficile de demander à un manager de produire un modèle différent de celui qu'il a l'habitude de produire avec succès. Aujourd'hui, nous recommandons de confier le net à ceux qui le comprennent.

4- Une intégration inévitable
Ceci dit, cette séparation n'est que stratégique. Elle doit se faire dans la perspective d'une fusion à moyen, voire à court terme. Cette fusion est inévitable. Elle a un sens économique. Mais elle a aussi un sens journalistique. Il faut donc préparer les équipes à cette fusion.

Plusieurs étapes pour cette préparation :
- Expliquer le phénomène internet aux équipes. Que se passe-t-il exactement ? Qui fait quoi ? En quoi internet change-t-il les habitudes en terme d'information pour les lecteurs ? En quoi internet va-t-il changer les habitudes de travail ? etc. Ce travail d'explication, indispensable à la mise en route d'une mutation, est très, TROP, souvent négligé. Pourtant, sans lui, il sera très difficile, voir impossible de faire changer les équipes. Qui veut progresser dans le noir ?

- Faire entrer la notion du lecteur/consommateur et de l'audience dans les rédactions. Un autre point largement négligé. Qui sont ces lecteurs ? Que veulent-ils ? À quoi ressemblent-ils ? Pourquoi devraient-ils acheter le journal ou se connecter sur le net pour nous lire ? Qu'attendent-ils des journalistes ? Comment les voient-ils, les considèrent-ils ? La rédaction doit baigner dans la culture du lecteur. Elle doit sortir de ses certitudes : "on sait ce que veut le lecteur". Elle doit comprendre qu'elle a un consommateur à satisfaire. Qu'elle est responsable, comme la pub et le marketing, des résultats financiers de l'entreprise. Deux journalistes dans un focus groupe, une fois tous les cinq ans, ça ne suffit pas. Il faut mettre en place des outils d'évaluation du contenu et des outils pour mesurer la satisfaction des consommateurs (lecteurs et annonceurs).

- Former les équipes à internet et au multimédia. Le manque de connaissance du net est souvent sous estimé dans les médias… par ceux qui le connaissent. Il faut mettre en place des formations pour apprendre à naviguer sur le net. Trouver des sources d'informations. Mais aussi apprendre les nouveaux outils pour livrer l'info : comment écrit-on un blog ? Comment anime-t-on un forum ? Comment fait-on une vidéo, un podcast…

- Permettre aux journalistes, qui se sentent prêts, d'expérimenter sur le net. Pour ce faire, il est indispensable de créer des ponts avec l'équipe du web et des espaces d'expérimentation. Il est important que la communication se fasse entre les deux équipes en permanence. Une conférence de rédaction commune peut être un premier pas dans cette mise en place d'une meilleure communication… en plus d'une réunification des équipes dans un même espace.

D'autres idées pour permettre cette mutation ? Des expériences que vous avez mises en place ? N'hésitez pas à nous en parler.


1 comment:

  1. @ Dominique

    Les fondamentaux du journalisme ne vont pas changer. Je pense d'ailleurs que cette information-conversation, nous pousse à revenir à ses fondamentaux.
    Ce qui change aujourd'hui, ce sont d'abord les outils pour les journalistes. Il y a de moins en moins de raison de s'en tenir à une spécialité : écrit, audio ou vidéo. La simplification des outils nous permet de, peu à peu, les utiliser tous.
    Ce qui change encore, c'est que le lecteur s'exprime. Ce que nous sommes plusieurs à appeler l'info conversation. Le journaliste a beaucoup plus de compte à rendre. Les erreurs sont pointées du doigt (du clavier). Les oublis aussi. Les partis prix aussi. Pointés… et discutés.
    La multiplicité des supports entraine une nouvelle façon de penser l'info. Une combinaison : timing + support. Et non, seulement remplissage d'un support. Des histoires racontées plusieurs fois, de différentes façons, sous différents angles avec différents outils pour plusieurs supports, plusieurs moments de la journée et des publics différents.
    La presse n'a plus le monopole de publier. Les nouvelles technologies permettent à tout le monde de publier facilement et pour pas cher. Le blog en est l'un des exemples. Le journaliste est toujours là pour la collecte de l'information. Mais, il débute la conversation, générant une masse incalculable de commentaires et de nouvelles infos. Reste à trier tout ça. C'est le rôle du journaliste. Cela a d'ailleurs toujours été le sien. Il est plus nécessaire que jamais. La fonction journaliste-trieur d'info va sans doute avoir de plus en plus de place. Une fonction nécessaire mal ou pas encore perçue par les médias ou les journalistes eux-mêmes. Sans doute aussi parce qu'elle semble moins noble que celle de reporter ou de chroniqueur.
    Je crois par exemple, que certains secrétaires de rédaction vont évoluer naturellement vers ce job de trieur mais aussi de metteur en lien (ajouter des liens contextuels sur les textes en ligne).

    Vous en dites quoi ?

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