Apr 23, 2006

Jeff Jarvis : "C'est de l'information dont nous avons besoin… pas du papier"

Je découvre, grâce au blog de Gilles Klein, le nouvel espace blog de Nice-Matin. Une initiative que je ne peux que saluer. Philippe Dupuy commente, dans "Tabloïg - le blog du tabloïd", le passage de Nice-Matin au format compact, le 8 avril dernier. En lisant les commentaires, je découvre que je ne suis pas le seul à me demander pourquoi un journal comme Nice-Matin n'a pas de site internet digne de ce nom.

Même si je me doute de la réponse. Quelque chose comme : internet n'est pas la priorité. Et, cette réponse, je la trouve, formulée un peu autrement, sous la plume de Philippe Dupuy (ici -- 5e commentaire en partant du haut) : "Notre "cœur de métier", comme on dit, c'est quand même encore le journal papier. La mise en ligne, on y travaille. Patience vous aurez bientôt le quotidien bi-média dont vous rêvez!"

Naïvement, je croyais que le cœur de métier d'un journaliste… c'était de faire du journalisme. Et, de mettre son travail à la disposition du public pour l'informer.

Et cliquant d'une page à l'autre, je tombe chez Jeff Jarvis (ici), sur un de ses articles publié, ce 23 avril, dans la page opinion du quotidien local américain de Philadelphie : The Philadelphia Inquirer. Cet article pourrait être la réponse à l'affirmation de Philippe.

Jeff se demande : "Avons-nous besoin de quotidiens aujourd'hui ?" Sa réponse : "Non". Il continue : "Avons-nous besoin d'information et de journalisme, et d'une société démocratique informée ?". Réponse : "Bien entendu, nous en avons besoin". Et d'ajouter : "Mais de papier ? Pourquoi ?"

Oui pourquoi ? Pourquoi y a-t-il encore des journalistes pour penser que la finalité des finalités, c'est l'impression de leur travail sur une feuille de papier ? Je ne dis pas là que le journal papier n'est pas important. Je ne dis pas là non plus qu'il est mort. Je dis juste, avec Jarvis et d'autres, qu'il n'est qu'un format, qu'une forme. Rien d'autre. Et que cette forme n'est pas suffisante… et son changement n'est pas la priorité.

Car changer de format c'est bien. C'est ce qu'il faut faire. Et c'est à encourager car le lecteur en apprécie le côté pratique. Mais changer de format ne suffit pas. Ne suffira pas à moyen terme. Le format ne fait pas le produit. Les quotidiens qui ont déjà adopté un format compact (tabloïd ou berlinois) depuis longtemps ont les mêmes soucis que ceux qui sont restés au broadsheet. Le format ne rend pas le journal intéressant. Il ne rend pas le journal utile. Il ne rend pas le journal adapté à la nouvelle compétition des gratuits et du net.

Car Philippe, votre cœur de métier n'est-il pas de servir votre communauté. Vous en conviendrez, je pense. Et servir la communauté, c'est aujourd'hui proposer un site internet de qualité. Car c'est là que sont les nouvelles générations… et les moins nouvelles (- 55 ans). Je vous laisse jeter un œil à ce tableau.

Les quotidiens papiers "sont devenus des véhicules à taille unique qui ne peuvent pas, en tout état de cause, être tout pour tout le monde", explique Jarvis. Comment penser que, même avec un nouveau format tabloïd, un quotidien va réussir à satisfaire, aujourd'hui, un cadre supérieur niçois de trente ans et une retraité de 70 ans de Menton ? Franchement, combien ont-ils de centres d'intérêt commun ? Ce n'est même plus le grand écart qu'il faut faire. C'est de la magie.

La priorité est-elle de changer de format ? La priorité est-elle d'essayer d'améliorer un produit qui est "terriblement cher à produire et à distribuer dans un marché où la compétition est gratuite", pour reprendre les mots de Jarvis. Et si elle n'est pas encore gratuite, tend à le devenir. Ou la priorité est-elle d'offrir à la communauté l'information dont elle a besoin sous toutes les formes possibles ? Et aux annonceurs, les moyens de toucher cette communauté sur plusieurs véhicules ? Ergonomie et choix d'abord.

On n'améliorera pas le support papier en faisant l'économie de penser la stratégie d'une entreprise de presse dans sa globalité. Un nouveau format, comme une nouvelle maquette, ne changera rien à moyen terme. C'est de la poudre aux yeux. Un entreprise de presse à aujourd'hui besoin de son journal compact, de son site internet (ses sites ?)… de produire du texte, de la photo, du son et de la video, etc. L'un ne va pas sans l'autre. L'un ne survivra pas sans l'autre… en tout cas pour le moment. Elle a enfin besoin de fournir une information et de disposer d'un outil qui est pertinent pour sa communauté.

Le métier de Nice-Matin ce n'est pas d'imprimer un journal. C'est d'informer sa communauté et d'être un véhicule efficace pour ses annonceurs. C'est de devenir le facilitateur de cette communauté. Son outil d'information, de communication et de création. Le journal papier n'est plus indispensable à tous. L'information elle l'est.

C'est une réalité difficile à avaler pour une grande majorité des confrères. Elle l'a été pour moi aussi. Elle l'est toujours parfois. Face à cette réalité deux réactions possibles, comme l'explique Jarvis.

D'un côté, regretter les beaux jours de la presse quotidienne en espérant qu'ils reviendront… jusqu'au moment où il sera trop tard. Regardez autour de vous, et vous verrez qu'il est déjà trop tard pour certains de nos confrères. Hélas ! Mille fois hélas ! Car on ne peut s'en réjouir.

De l'autre, voir, comme le dit aussi Jarvis, tout cela comme une immense opportunité "de collecter et partager l'info dans un domaine entièrement nouveau et souvent d'une façon meilleure. Merci aux nouvelles technologies qui réduisent le coût de la distribution, accélèrent la production, permettent un meilleur ciblage tant pour le contenu rédactionnel que pour le contenu commercial, et plus important, offrent la possibilité aux gens que nous appelons l'audience -- vous -- de nous rejoindre et d'aider à informer vos voisins."

"Les journaux ne sont plus seulement sur un morceau de papier. Ils sont virtuels. La distinction entre ce que les gens lisent sur papier et ce qu'ils lisent sur un écran d'ordinateur est de moins en moins pertinente", explique Richard Stengel (bio), à la tête du National Constitution Center aux US.

Ce dont à besoin un quotidien régional aujourd'hui -- en priorité -- ce n'est pas de changer de format. C'est d'une stratégie multimédia (tous médias). Une stratégie où chaque support à son rôle à jouer pour devenir indispensable à sa communauté. Le format… c'est devenu un problème secondaire. Un problème qui aurait dû être réglé depuis au moins vingt ans. Mais le monopole, cela n'aide pas à se remettre en question.

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